Musique et tauromachie

22/01/2014 17:52

MUSIQUE ET TAUROMACHIE.

 

                                

 

La musique et le toreo sont intrinsèquement liés.

En effet, la corrida est toujours accompagnée d’une fanfare; la mention « El espectáculo será amenizado por una brillante banda de música » (1a) figurait d’ailleurs naturellement sur les anciens carteles. Il arrive même que certains pasodobles soient plus applaudis que le torero.

Mais le fait que la musique résonne dans l'arène, est loin d'être, à mon sens, le seul facteur qui relie musique et tauromachie.

Lorsque l'on parle de musique et de tauromachie, on s'attend inévitablement au parallèle entre flamenco et corrida. C'est une des raisons pour lesquelles, j'ai délibérément décidé d'aborder le sujet  à contre-pied avec la musique classique et non le « cante jondo »

 

        - Musique,  tauromachie et sociétés

 

 Les arts (la musique, le théâtre, la peinture, mais aussi la tauromachie) évoluent en fonction de l’Histoire, souvent de la  censure et de la réaction des peuples face à un pouvoir opprimant. Créer devient une nécessité afin de transgresser les règles géopolitiques. La tauromachie et la musique pour leur part ne dérogent pas à cette règle. En ce sens, le XVIIIe siècle est remarquable.

 

 

 

 

 

 

 

 

        -Mozart, le génie rebelle du XVIIIe siècle:

 

Si on appréhende l’immense talent du musicien, on connaît moins l'environnement politique qui obligea le prodige de Salzbourg à transgresser certains principes de l’époque bien établis. Attardons-nous sur un opéra: les Noces de Figaro.

 Les opéras  étaient composés de la musique proprement dite et d’un livret (pièce ou texte mis en musique). Ils  étaient  soumis à l’examen des sages  de la cour du Roi.  Le fameux opéra Les « Noces de Figaro » de Mozart  en est un exemple patent. Le livret de l’écrivain Français  Beaumarchais risquait de créer le désordre dans une Autriche monarchiste. En effet, cette pièce qui traite, entre autres sujets, de l’émancipation de la femme envers l’homme fut sujette à polémique : en France, alors que la révolution française grondait à Paris, Beaumarchais utilisait théâtre pour égratigner  le pouvoir.

 

En Autriche, lorsque Mozart proposa de créer « il Nozze di Figaro »,   le Roi Joseph II en fut averti par sa femme qui n'était autre que la sœur  de   Marie-Antoinette, l’épouse de Louis XVI, des dangers politiques de l’œuvre de Beaumarchais. Les risques de révolution dans une Autriche en crise ne seraient-ils pas encouragés par un tel opéra ?

Compositeur officiel de la Cour, Mozart côtoyait l’aristocratie. Mais il en fut  exclu après son refus de se soumettre à l’autorité.

 Désargenté, il dut son salut au propriétaire d’un petit théâtre amateur auquel les classes les plus pauvres avaient accès et dont le credo était « l’art n’est pas et ne doit pas être adjudication de la seule caste bourgeoise ».

 

 

-De Mozart à la tauromachie                       

De telles transgressions musicales au fil des siècles, à l’exemple des dernières œuvres de Mozart, se retrouvent en tauromachie. De la même manière, celle-ci s’est métamorphosée suivant une tendance inclinant vers le « populaire » : La tauromachie à cheval, réservée jusqu’alors à la noblesse, à cause de changements de mœurs et en réaction à la caste dominante, bientôt se démocratisa. Il est notable que ce mouvement intervient pratiquement à la même période. Fin XVIIe et début XVIIIe, la géopolitique de ce qui n'est pas encore l'Europe est propice à toutes les révolutions. Comme le notait à l'époque Pierre Choderlos de Laclos, "toute obligation est une entrave qui répugne à la liberté naturelle".

Les joutes à pied contre les taureaux furent d'abord un jeu d’adresse et de courage. Puis des génies comme Pepe Hillo (début XVIIIe) ont donné leurs lettres de noblesses à un nouvel art en créant la tauromachie à pied. Serait-elle apparue comme un art sans les dictats prohibant pour le peuple l’accès à la corrida à cheval ?

 

                                   

 

-La musicalité du toreo

* les mots en italique font également référence à des termes musicaux.

 

 

 

 L’art de la tauromachie respire et vibre au rythme de la musique. Lorsque nous regardons une faena, tous nos sens sont en éveil : le regard et l’ouïe bien-sûr, mais aussi et surtout un sens qui ne fait pas partie des cinq « répertoriés » : le ressenti.

 Une faena est faite de changement d’altérations,  de suspensions, de pauses, de reprises du combat plus ou moins rapides, -allegretto ou allegro- ou encore de respirations qui évitent à un adversaire trop faible de s’éteindre.

Evoquons également la manière de citer le taureau de façon plus ou moins appuyée, forte  ou andante.

Un public captivé par ce qui se trame dans le ruedo parfois se tait. Alors le silence se fait  pour mieux se délecter de la grâce du geste.

 

Le matador comme le musicien interprète lui aussi sa partition avec ses propres annotations, il déroule sa « faena », son œuvre, son « opéra ». Il compose, réutilisant parfois le même type de passes à des instants différents, lorsque le taureau le nécessite, interprétant ainsi son concerto.

 Ou bien il révèle une fugue (forme musicale où différentes parties reprennent le même motif). A l'inverse, dans sa musicalité, le torero, tout comme le   musicien, improvise et lorsqu'il est en transe,  la fugue devient alors psychogénique (1b). 

Il était d'ailleurs étonnamment beau de voir un Rafael De Paula atteint de « fugue psychogénique » devant un animal aux muscles saillants et aux cornes dévastatrices. C’est souvent lors de ces moments impromptus, lorsque  l’interprète s’évade et qu’il nous entraine  dans son  improvisation, que le silence  se fait pour mieux apprécier la beauté de l’œuvre.

Qu’il s’agisse d’un Paco de Lucia, d’un Michel Petrucciani, d’un Curro Romero ou encore d’un José Tomás, ils sont à même de créer ce moment privilégié, cette musicalité non orchestrée qui font vibrer l’acteur et le spectateur; cet instant de grâce nous réunit, nous fait entrer en transe dans une exaltation démesurée  nous rendant pendant quelques instants complices de l'artiste.

 

 

La musique et la tauromachie sont deux arts liés par des siècles d'histoire, de déchirures, de traits de génie. Leur évolution au fil du temps permet de vérifier que quand le brio, la dextérité et l’éloquence « descendent  dans la rue », ils créent un art à part entière. Par ailleurs la dramaturgie qui se joue dans la plaza est portée par la partition musicale en filigrane jouée par le matador.

Cette fusion est aujourd'hui l’apanage de grands artistes qui nous offrent ce que José Bergamín appelle avec grâce, "La música callada del toreo",   "La solitude sonore du toreo».

 

 

 

Lexique : (1)

a- Le spectacle sera accompagné d’une extraordinaire fanfare.

b-La fugue Psychogénique : dédoublement de la personnalité : le sujet atteint de fugue psychogénique s’évade dans un univers qui n’est pas le sien, tout en restant conscient de se dédoublement de la personnalité (…) (-in Dictionnaire de la médecine : éditions Larousse-médical)

 

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(Texte et photos M. Vargas; remerciements à  Pierre.V  pour sa contribution).

 

 

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