"Juan Mora, de l'esthète au combattant"
JUAN MORA, DE L'ESTHETE AU COMBATTANT
Le 3 Avril 1983 à Sevilla, le jeune Juan Mora, originaire de Plasencia dans la province de Cáceres (Madrid), reçoit l'alternative des mains du "Faraón de Camas", avec pour témoin Manolo Váquez. Autant dire une cérémonie que tout torero à sensibilité artistique ne peut imaginer même dans ses rêves les plus fous.
Artiste hybride, il a cette particularité singulière de mélanger l'Arte sévillan à la sobriété castillane. Son toreo, trop amidonné au gré de certains, ne l'est pas pour le regretté Manuel Chopera qui le fait entrer dans sa "squadra" en 1989.
Véritables empire "coloniaux taurinos" les Chopera, Balaña, Lozano, outre le fait d'avoir la main mise sur toutes les plazas de "categoria" d'Espagne comme de France, ont en commun la gérance de carrière de toutes les figuras du moment. Juan Mora, qui depuis son alternative se nourrit de vaches maigres, va maintenant pouvoir se sustenter de mets bien plus appétissants, de vrais taureaux enfin, et tout cela en bonne compagnie.
Dont acte, mais il serait injuste de dire que seule "la Casa Chopera" a fait Juan Mora.
En 1986, devant un sobrero de Lipi, l’artiste "d'espejo" fait lever le peuple madrilène en pleine San Isidro. Son poignet de cristal lui fera malheureusement perdre deux appendices et rater son entrée en "Terre Promise". En 1989, c'est au tour de la Monumental de Barcelone d'adopter le "dogme" Mora. L'émission culte « Tendido Cero » repassera en boucle ce faenón. L'Aficionado veut vibrer à son tour au son du toreo baroque de Mora pour mieux tomber sous le charme de cet artiste doté d'une sensibilité extrême et d'une bravoure peu commune.
Cette "valentía", Juan Mora en aura bien besoin lorsque, à la suite de cette prodigieuse tarde, un bicho lui fractura le poignet, ce poignet qui ne cessera de se briser entrainant peu à peu l'artiste vers des corridas dures. Il répond cependant présent devant tous les "morlacos" que les empresas daignent encore lui servir.
Séville '83 semble bien loin, mais les toreros de La Mancha sont habitués aux hivers rudes. Juan Mora traverse les années '90 marquant de son empreinte les plazas comme Béziers, Madrid, Vitoria et ce faenón sur le sable gris de Bilbao où une fois de plus il "tire les oreilles" des Victorinos. Il sait lidier, un bouquet de jasmin à la chaquetilla.
L'esthète qui dut, blessures après blessures, se muer en combattant fait une entrée dans le second millénaire, où la mort lui a donné rendez vous à Jaén. Sous une pluie battante, goutte à goutte, la vie l’abandonne. Juan Mora, le combattant lutte comme un beau diable, la jambe déchiquetée. Il sera sauvé par les médecins.
Il faut une fois de plus tenter de renaître, passant de longues et douloureuses heures en salle de rééducation, souffrant encore des cauchemars du masque hideux de la faucheuse avec laquelle il a dansé un funeste ballet un jour d'octobre 2001 à Jaen.
Après ce qui fut une des cornadas les plus graves de ces trente dernières années, et malgré de nouveaux triomphes, les contrats se font rares, notamment en France.
De nouveaux toreros arrivent sur le circuit ; ce sont les années Conde et Tomás qui côtoient les Fundi, Valverde ou Javier Castaño : il n’y a plus vraiment de place pour Juan Mora, l’artiste lidiador.
Cependant, 27 ans après son alternative, le 3 octobre 2010, Juan Mora sort par la grande porte à Las Ventas lors de la fête d’automne, après de prodigieuses séries et une estocade phénoménale face à un Torrealta.
C’est pourquoi, chaque fois que l’homme de Plasencia foulera le sable d’un ruedo, les aficionados n’auront de cesse d’attendre la geste de Juan Gutierrez Mora, celle d’un vétéran millésimé avec son traditionnel toreo de 25 passes et une estocade « de vérité », le torero à la fois classique et combattant, le torero brave devant les toros braves.