INTERVIEW EXCLUSIVE DE NUNO CASQUINHA


 

M.V. : bonjour maestro. Tout d’abord je vous souhaite une excellente année, beaucoup de combats et de sorties par la grande porte. Pour cette année 2016, année clé pour vous, quels sont vos objectifs ?

 

N.C. : Bonjour Marc. D’abord je vous souhaite ainsi qu’à toute l’afición une excellente année. En outre, je vous remercie de l’occasion que vous me donnez de m’exprimer lors de cette interview.

Cette saison sera décisive, même cruciale, pour moi, et je suis bien conscient que j’aurai à faire face totalement chaque jour où je prendrai l’habit de lumière. Cette année, mon objectif est de marquer le coup définitivement pour figurer aux « cartels » d’Espagne, de France et du Portugal qui est mon pays et où je veux être une référence et un exemple.

 

M.V. : Comment vous sentez-vous physiquement et moralement à quelques mois du début de saison ?

 

N.C. : Eh bien, je vous avoue que jamais je n’ai été aussi prêt qu’aujourd’hui ; en réalité je n’ai pas cessé un seul jour de m’entraîner, même pendant les fêtes. Mon moral est au beau fixe, grâce à Dieu, et les perspectives sont excellentes pour 2016. C’est un bonheur pour moi de revenir en France, ce pays qui m’a tellement aidé dans ma carrière de novillero. Je l’admire pour sa démarche d’une grande honnêteté lorsqu’il reprend [l’année suivante] des toreros qui ont eu du mérite, ainsi que pour l’organisation et la préparation des corridas tels que le choix d’un taureau, les déplacements dans la ganaderia pour observer son développement ainsi que la place qu’il lui donne, car c’est bien lui le roi de la fête taurine.

 

M.V. : la plupart des jeunes portugais commencent par l’école taurine de Vila Franca de Xira. Vous, vous en avez choisi une autre, et pourquoi plus tard celle de Madrid ?

 

 

N.C. : j’ai commencé à l’école taurine de Moita do Ribatejo avec le maetro Armando Soares. Puis, j’ai fréquenté celle de Vila Franca de Xira avec le maestro José Julio. Par la suite, grâce à mon ami le grand ganadero Victorino Martin, j’ai pu entrer à l’école de tauromachie Marcial Lalanda de Madrid où j’ai eu pour maestros Macareno et Joaquin Bernardo. En Espagne, on « vit » la tauromachie de façon plus sérieuse et professionnelle qu’au Portugal. C’est pourquoi j’ai compris que pour m’améliorer je devrais « changer d’air », et heureusement ce fut un choix décisif heureux pour ma carrière.

 

M.V. : En quoi pour votre art l’École Taurine de Madrid, dont vous êtes sorti « élève diplômé de référence », vous a-t-elle aidé en 2004 ?

N.C. : Le fait d’appartenir à l’École Taurine m’a ouvert d’autres portes : J’ai eu la chance de participer et de gagner les trophées taurins de Ciudad Rodrigo, Coria et La Rioja. C’est le premier qui a eu pour moi le plus de répercussions car il est important et c’était la première fois de son histoire qu’un novillero étranger le gagnait. En outre, j’ai participé aux concours de Vista Alegre et de La Venta del Batan. Je ne remercierai jamais assez les maestros de Madrid pour leur attention à mon égard et les occasions qu’ils m’ont données.

 

M.V. : en 2004, le nom Casquinha est incontournable. Vous avez remporté plusieurs grands prix. Je rappelle que vous avez été triomphateur du cycle de novilladas de Dax. Que pouvez-vous dire de ces années ?

N.C. : ce furent des années merveilleuses. En cette saison 2004, j’ai toréé 20 novilladas sans picadors, mais j’en ai raté certaines à cause d’une blessure à Deba où un novillo m’a écrasé la main et m’a fracturé un doigt. Je me souviens de ma première entrée dans une arène française ; c’était à Mugron. Ce jour-là, après la corrida, j’ai signé 8 contrats, ce qui montre bien la profondeur de l’aficion française. Et même, malgré le contretemps dû à ma blessure, j’ai pu gagner différents trophées important tels que le titre de « triomphateur » plus le trophée José Falcon à Orthez, « triomphateur » du cycle de novilladas de Dax, « la Mention Spéciale du Savoir-Être à San Adrian, « Meilleure Faena » et « Meilleur Quite au capote » du cycle de novilladas de Llodio, plus différents trophées au Portugal. Ce fut cette saison qui me propulsa définitivement vers mes débuts de novillada piquée l’année suivante.

M.V. : des années de rêve, donc, et très vite vous entrez dans le circuit professionnel, toujours en France, partageant l’affiche de Captieux avec M. Savalli, un élève d’Arles. Que signifie pour vous le fait de passer professionnel ?

N.C. : Pour moi, ce fut un honneur de débuter en piquée en France, ce pays qui m’avait tant apporté les années antérieures. Ce jour-là, outre le fait de rempoter une oreille, j’ai gagné le trophée de la meilleure estocade de l’après-midi. Débuter en novillada piquée demande une grande responsabilité ; je partageais l’affiche avec des novilleros bien préparés et un « utrero » demande plus de travail qu’un « eral ».Pour affronter ce passage, j’ai profité des deux hivers que j’ai passés dans la « finca » de Victorino Martin avec le matador Luis Bolivar où j’ai eu l’opportunité de toréer plusieurs vaches et quelques taureaux de ce prestigieux élevage. En outre, j’ai eu le privilège de m’entraîner et de bénéficier des enseignements des maestros Joselito et César Jiménez.

 

M.V. : J’étais moi-même dans les gradins et j’ai pensé : « celui-là va réussir ». Entre 2005 et 2011, si je me souviens bien, le solde était plutôt positif ; vous êtes alors présent dans trois arènes d’importance : Mexico (13/02/08), Madrid (Feria de la Comunidad 2009) et Séville (2010). Vous y avez laissé un excellent souvenir. Vous triomphez et cependant vous n’êtes pas encore matador. Pourquoi ?

N.C. : Effectivement, le solde de ces saisons est très positif : je torée dans plusieurs novilladas comme à Arnedo (où j’ai gagné le prix de la meilleure estocade de la feria), à Peralta (deux années de suite), Moraleja (idem), Calasparra (idem), Moralzarzal (idem), Villaseca de la Sagra de Retamar (trois années de suite), ainsi qu’à El Alamo . J’ai gagné le trophée « Cochinillo de Oro » à Arévalo pour la meilleure faena ; à Puerto Vallarta, au Mexique, j’ai coupé une queue lors de ma première présentation, sachant que ce trophée n’avait pas été décerné depuis 12 ans. A Madrid, j’ai eu l’honneur de me présenter quatre fois. En France, j’ai toréé à Soustons (en deux occasions), Carcassonne, Beaucaire et Parentis. A cette époque, j’ai affronté des taureaux d’élevages considérés comme « toristas » : Miura, Victorino martin, Juan Luis Fraile, Monteviejo (trois novilladas), Partido de Resina, Prieto de La Cal, Moreno Silva (deux novilladas), Hernandez Pla, José Escolar…

M.V. : Arrive enfin le jour rêvé : comment avez-vous vécu cet évènement à Villanuueva del Fresno ? Vous doutiez-vous d’emprunter un chemin aussi difficile ?

N.C. : oui, je savais que ce chemin, serait bien difficile, car les dernières novilladas se révélèrent de plus en plus compliquées. C’est pourquoi, de toute façon, je m’étais préparé pour la suite. L’alternative, j’avoue que c’était mon rêve de gosse. J’ai pu compter sur les aficionados portugais qui non seulement sont venus aux arènes, mais en plus me rendirent hommage avant et après la corrida. Maintenant la lutte était d’une autre nature.


 

M.V. : Cela devenait difficile, en effet, si l’on ne tient pas compte de tes succès américains au Pérou en 2012. Pourquoi cette décision de s’éloigner de l’Europe ?

N.C. : Ce ne fut pas une décision facile de laisser le pays, la famille, les amis… Mais il ne fallait pas perdre de temps, et les perspectives de toréer en France s’amenuisaient en 2012. Il a fallu repartir de zéro. Même si dans les premiers mois les contrats étaient rares, petit à petit les portes s’ouvraient et j’ai terminé la saison avec 25 corridas. Mis à part le nombre de contrats, ce dont je suis fier c’est de n’avoir jamais « prostitué » mon toreo et d’avoir toujours respecté la profession.

 

N.C. : Terminer la saison 2013 tout d’abord en première place de l’ « escalafon » avec 37 corridas, 53 oreilles, 2 queues, 22 « puertas grandes, un taureau gracié et 10 scapulaires, tout cela fut un véritable rêve devenu réalité. Je ressentais une admiration et une tendresse énormes de la part des aficionados. Ce furent 2 années difficiles mais merveilleuses pendant lesquelles j’ai pu murir en tant que personne et torero. Cependant, j’avais toujours l’intention de revenir en Europe pour montrer mes progrès. En outre, j’étais fier d’honorer mon pays, le Portugal en étant si loin.

M.V. : si vous deviez retenir un souvenir de cette expérience, quel serait-il ?

N.C. : c’est une question difficile. J’ai beaucoup de souvenirs du Pérou, tous très beaux. Mais je crois que celui je retiendrai particulièrement, c’est celui où j’ai pu gracier le premier taureau de ma carrière, celui de l’élevage Ivan Rodriguez dans les arènes de Cora Cora (Ayacucho).

 

M.V. : vous revenez en Europe en 2014, après deux années loin du « Vieux Continent », plein d’espoirs. Comment imaginiez-vous ce retour après tant de triomphes, étant donné qu’en Espagne et en France la saison taurine suit celle d’Amérique ?

M.V. : Sincèrement, je pensais cela aurait plus de répercussions dans mon pays, mais je comprends bien que les corridas ici sont organisées autrement. En Espagne, j’ai pu toréer dans une corrida de José Escolar où j’ai coupé deux oreilles, plus deux autres avec respectivement une et deux oreilles. Je venais de terminer la saison au Pérou et je recommençais en Europe. Le processus est plus lent qu’on le désirerait, mais il faut continuer de lutter avec toute la foi du monde.

 

M.V. : Le nom du maestro Victor Mendes s’écrivait Mendez à Madrid jusqu’à son fameux jour de 1987, à partir duquel on revit sur les affiches le nom de Mendes avec un « s ». Pensez-vous qu’être portugais vous éloigne de l’Espagne, un peu comme Pedro, Pedrito de Portugal ?

N.C. : non, je ne crois pas qu’être Portugais m’ait éloigne de l’Espagne. Ce qui est possible, c’est que les succès ne se sont pas enchaînés. Je suis convaincu que tout torero se comporte honnêtement et qu’il s’applique où qu’il soit ; le taureau et le public « transmettent » de la même façon. Les occasions restent complexes pour tous les toreros dans ma situation, la seule solution c’est d’être le meilleur tous les jours en marquant les esprits dans les arènes mais aussi dans les « tientas ».

 

M.V. : Pour la plupart, Nuno Miguel Vicente Casquinha est un formidable banderillero, un combattant hors pair, et quand un taureau présente bien la tête, vous vous sentez euphorique. Que vous manque-t-il pour retrouver tout votre charisme en 2016 ? Que pouvons-nous vous souhaiter pour la suite dans et hors arènes ?

 

N.C. : Je me considère comme un torero complet ; j’ai donc repris la pose des banderilles la saison dernière. J’aime particulièrement les premiers tercios, ces phases qui se sont perdues ces dernières années ; il faut laisser du champ au taureau dans sa lutte et selon moi s’engager encore plus dans les « quites » : c’est pourquoi je focalise ma préparation hivernale sur ce point. Dans toutes les phases du toreo, je prends conscience de ma place et du moment où mon toreo brille le plus, celui précisément quand le taureau en demande encore plus Je suis très bien préparé mentalement comme physiquement. C’est pourquoi, dans n’importe quelle arène, face à n’importe quel élevage, on trouvera Nuno Casquinha parfaitement à son aise.

 

 


 

M.V. Merci beaucoup maestro. On dit que le taureau remet chacun à sa place ; vous, comme l’aficion, vous savez très bien où est la vôtre. Alors, « que dios reparta suerte », « suerte maestro ».

N.C. : Merci beaucoup à vous Marc pour cette interview. J’espère que cette année sera importante pour ma carrière et que je vais briller dans les « férias ». Un grand salut à tous les aficionados.


 


 

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